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colombin = -INE adj. et n. XIIIe siècle. Emprunté du latin columbinus, «du pigeon ou de la colombe», «de la couleur du pigeon». Adj. Qui est d'une couleur changeante, variant du rouge au violet. De la soie colombine on dit plutôt Gorge-de-pigeon.

L'ATELIER D'ECRITURE, qu'est-ce que c'est?

C’est un lieu – matériel ou virtuel – où se rassemblent des personnes sous l’impulsion d’un professionnel de l’écriture.
C'est un lieu de lecture où chaque participant lit ou diffuse son texte, écoute ou lit ceux écrits par les autres.
C’est un lieu où s’entremêlent la voix de l’auteur et celle du lecteur, un lieu commun où l’écriture singulière naît et s’épanouit, dans un échange de savoir-faire, un dialogue en plusieurs langues, un va-et-vient incessant entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et les autres.
L'écriture est la peinture de la voix - Voltaire

27/05/2011

Messages de mères inconnues

«Les mères qui ont donné naissance à des filles ont le cœur meurtri» dit l’une des femmes qui livre son témoignage, phrase que chaque femme de ce livre pourrait faire sienne.
Une histoire après l’autre nous révèlent ce cœur meurtri des femmes qui ont abandonné leur(s) fille(s): ouvrière ou paysanne, fonctionnaire ou étudiante, chaque femme chinoise est susceptible d’abandonner une fille, que son geste soit dicté par la politique de l’enfant unique, les traditions ancestrales, par nécessité économique ou par pression familiale, quand toutes ne se conjuguent pas. L’abandon des filles est un phénomène qui traverse toutes les couches de la population chinoise.
Dix histoires singulières parlent de ces mères, de ces destins à la fois individuels et collectifs, leur conférant une dimension archétypale. En filigrane, Xinran nous parle de la condition féminine en Chine, de la place des femmes et des filles, de la violence qui leur est faite.
Journaliste chinoise, Xinran a animé pendant des années une émission de radio lors de laquelle elle recueillait les confidences des femmes. Son premier livre, Chinoises, en est issu. Cette fois-ci, elle donne la parole aux mères qui ont été contraintes d’abandonner leur fille, ou de les tuer. La première histoire est celle d’un infanticide, de l’infanticide des filles. Existe-t-il un mot pour désigner le meurtre des seuls bébés filles?


Ce sont toutes des histoires terribles, la détresse des mères est immense, leur douleur rarement exprimée, si ce n’est par suicide (on apprend ainsi que le taux de suicide des femmes en Chine est un des plus élevés au monde*). Xinran rencontre quelques-unes de ces femmes et devient leur confidente, on comprend que c’est la première fois qu’elles racontent leur histoire, assurées que l’anonymat les protégera. Chaque témoignage est comme une bouteille à la mer de ces mères qui voudraient tant retrouver leurs filles, au moins savoir ce qu’elles deviennent.
Qu’elles aient été contraintes de tuer elles-mêmes ou de laisser tuer leurs filles, de les abandonner au mieux dans un orphelinat (qui encore dans les années 90 n’étaient en rien des lieux accueillants et dotés de ressources), mais souvent dans la rue ou sur le quai d’une gare, elles pensent toujours à elles; certaines rêvent qu’elles ont été adoptées, toutes voudraient pouvoir les revoir ne serait-ce qu’une fois, savoir si elles sont devenues des adultes heureuses. L’adoption internationale paraît alors comme la seule solution enviable, y compris pour les mères, même si on sait que leur rêve ne sera pas exaucé: aucune n’a pu laisser son identité, aucune ne sait ce que sa fille est devenue, les petits indices qu’elles ont voulu laisser sur le corps de l'enfant, tel un vêtement, ont été détruits. Avant que les autorités chinoises ne prennent en main la destinée de ces enfants abandonnés en organisant l'adoption internationale, aucun dossier n’était tenu, aucune trace de l’histoire des enfants, aussi tenues et faibles ces traces pouvaient-elles être, n’a été sauvegardée.
Le lecteur qui sait ce que ces mères ne savent pas est accablé devant tant de douleur que rien ne viendra atténuer.

Mêlée à ces histoires, il y a celle de l'auteur. Xinran se met en scène, en mots, en pensées et émotions. Elle est partie prenante, son livre n’est donc pas un «livre de journaliste», elle est une protagoniste et, finalement, elle aussi a une histoire d’abandon à raconter, même si elle n’a pas abandonné sa fille.
On pense alors que cette quête de la parole des mères lui est personnelle, qu’elle n'est pas seulement celle d’une journaliste, d’une femme. C'est celle d’une mère (d'un fils), de la fille de parents mal aimants, d’une mère d'accueil (Petite Neige, où es-tu?).
Est-ce parce qu’elle écrit ce livre à destination des filles adoptées? Est-ce parce qu'elle est elle-même une fille qui s’est sentie abandonnée par des parents plus préoccupés par la Révolution culturelle? Toujours est-il qu’on sent l’auteur du «côté des petites filles», et que son écoute, sans doute assez empathique pour avoir suscité autant de confidences indicibles, n’est pas neutre. Souvent des exclamations fusent, des pensées sont transcrites qui manquent de compassion pour ces mères. «J’étouffai un cri d'horreur» (p.176) est un exemple de ces réactions. L’auteur paraît parfois juger ces femmes, comme si ces mères avaient eu le choix, parfois elle paraît naïve, comme si elle découvrait à chaque récit l’étendue du désastre et s’en étonnait.
L’objectif de Xinran est clairement affiché dès l’introduction: elle écrit ce livre pour répondre à la question lancinante que les filles adoptées nées en Chine lui posent invariablement: «Pourquoi ma maman chinoise n’a-t-elle pas voulu de moi?»
- «Si seulement elles savaient... leurs pauvres, pauvres mères!», répond une femme qui a travaillé dans un orphelinat**.
- Elles ne savent pas parce que personne ne le leur a dit. C’est ce que j’essaie de faire, leur dire à quoi leurs mères pensaient.
- Je ne sais pas à quoi leurs mères pensaient, mais je sais ce qu’elles ont souffert.
C’est en effet ce que nous apprenons à la lecture de ce livre: combien ces mères ont souffert! Et combien leur destinée est cruelle.
Reste néanmoins la question à savoir quelle mère adoptive aura envie de faire lire ces témoignages à sa fille née en Chine? A quel âge ces filles pourront-elles les lire? Sauront-elles faire la part des choses? Les «réponses» les satisferont-elles? Ces témoignages répondent-ils à la question du «pourquoi» individuel? Quelle mère, quelle histoire voudraient-elles être la sienne? Celle du couple en errance à travers la Chine qui abandonne l’une après l’autre ses filles avant de pouvoir rentrer au village natal un fils dans les bras? Celle de l’étudiante qui a eu une relation sexuelle avec son professeur marié et que ses parents obligent à abandonner son enfant? Celle des paysannes à qui on a enlevé l’enfant?
Ces histoires sont violentes, parce que la vie de ces femmes est violente. Les scènes d’infanticide et d’abandon nous font déglutir, nous adultes. Comment réagirait une jeune fille à qui sa mère donnerait ce livre à lire?
Ne vaut-il pas mieux que les mères lisent cet ouvrage pour les aider à répondre à la question de leur fille en parlant de la situation des femmes en Chine? Une réponse qui se décline en plusieurs raisons possibles – en Chine comme partout ailleurs, même si, pour la Chine, l’abandon concerne quasi exclusivement les filles à cause de la politique de l'enfant unique conjuguée à la prévalence des garçons dans la tradition (pour perpétuer la lignée).
Les filles sauront trouver ce livre – parmi d'autres – sur leur pays d'origine – un jour, le jour où elles seront prêtes à le lire, où elles choisiront, elles, de le lire. 

* «Dans un rapport des Nations unies daté de 2002, la Chine arrivait au premier rang pour le nombre de suicides chez les femmes et les pesticides étaient le moyen le plus utilisé. La Chine est un des rares pays où les femmes sont plus nombreuses à se suicider que les hommes.» p.120
** p.153 Mary la Rouge de l'orphelinat

Xinran
Messages de mères inconnues
Ed. Philippe Piquier, 2011
Extrait en ligne sur le site de l'éditeur